- SIBELIUS
- SIBELIUSAyant suscité les appréciations les plus contradictoires chez les critiques, tenu longtemps dans un purgatoire d’où seuls Anglais et Américains l’avaient fait sortir (ce qui ajoutait à la méfiance des Allemands et des Latins puisque le bon goût musical ne semblait pouvoir franchir ni la Manche ni l’Atlantique !), Sibelius revient au premier rang et prend peu à peu la place qu’il mérite. Non sans erreurs d’appréciation: un certain nombre d’opinions préconçues circulent sur le personnage et il convient de les dissiper.Sibelius ne peut pas être rangé dans la catégorie des compositeurs dits «nationaux». Il n’est ni le Grieg, encore moins le Dvo face="EU Caron" シák, voire le Bartók, finlandais: il n’utilise pas la musique populaire comme matériau thématique, et les caractéristiques de son style mélodique ne doivent rien aux mélodies populaires de son pays. Ce sont les commentateurs, victimes de l’hyperurbanisation de l’Europe occidentale industrialisée, qui ont vu en Sibelius un chantre du terroir. Nul besoin pour lui de retourner aux sources: il ne les a jamais quittées tant la Finlande d’alors était – et reste encore – un paradis écologique! Sibelius n’a cherché qu’à atteindre un langage universel; le plus grand risque pour lui aurait été de «folkloriser» sa musique et de la reléguer ainsi à une production couleur locale inapte à passer les frontières. La toile de fond (et non pas le développement) de l’œuvre de Sibelius reste nordique, et le nationalisme finlandais ne peut y trouver son compte qu’après coup.Lorsqu’il vient au monde, la Finlande est sous le joug russe depuis un peu plus d’un demi-siècle. Mais, pendant les six siècles précédents, c’est la Suède qui dominait le pays. Sibelius va vivre dans un contexte familial suédois, d’extraction et de culture: sur la centaine de mélodies environ qu’il va composer, l’écrasante majorité empruntera des textes en suédois. Dès lors, même si la montée de son art coïncide avec celle du nationalisme littéraire (à la suite de la publication par Elias Lönnrot du Kalevala , vaste épopée finnoise), il est aussi vain de nier que Sibelius se rapproche de la lignée (dont Franz Berwald – suédois – est à l’origine) des grands symphonistes nordiques pan-nationaux au côté de Carl Nielsen, son exact contemporain, qu’il est absurde d’en faire un antirusse (alors que bien des similitudes avec sa musique apparaissent dans certaines œuvres de Borodine, de Rimski-Korsakov ou de Tchaïkovski).Enfin, Sibelius a été un grand voyageur sensible aux divers courants esthétiques qui ont traversé l’Europe. Lorsqu’il compose des musiques de scène, là encore, il choisit Strindberg, Maeterlinck, Hofmannsthal, Shakespeare. Il ne négligera aucun des courants qui ont éveillé sa curiosité et enrichira d’autant son art, qui va à chaque fois y gagner en universalité.Premiers contactsSibelius est né le 8 décembre 1865 à Hämeenlinna, une ville située à près de 200 kilomètres au nord d’Helsinki. Le père, médecin militaire de souche à la fois suédoise et finnoise, avait épousé la fille d’un médecin immigré de Suède: l’atmosphère culturelle dans laquelle va baigner le jeune Johan Julius Christian sera donc de langue et de coutumes presque exclusivement suédoises, d’autant plus que seules sa mère et sa grand-mère maternelle l’élèveront après la mort du père en 1868. Les premières leçons de piano se révèlent peu fructueuses: les compositions de Sibelius pour cet instrument resteront marginales. Il préfère et préférera toujours le violon, pour lequel il écrira son unique concerto (il regrettera beaucoup de n’avoir pu devenir un violoniste virtuose).Après avoir été reçu bachelier en 1885, il commence des études de droit – concession faite à la famille – tout en poursuivant ses études musicales à l’Institut de musique (l’actuelle Académie Sibelius), fondé trois ans auparavant par Martin Wegelius. Sibelius y apprend la composition après avoir abandonné le violon et malgré plusieurs apparitions en soliste au cours de concerts locaux. À l’Institut, il se lie avec Karl Flodin (critique du quotidien suédois Nya Pressen ), Robert Kajanus – père de la musique finlandaise – et Ferruccio Busoni (professeur chez Wegelius de 1888 à 1890).Affirmation d’une personnalitéEn 1889, Sibelius découvre en fouillant dans des vieux tiroirs qu’un de ses oncles, grand voyageur, avait internationalisé en Jean son prénom Johan: Sibelius décide de faire de même et lui aussi, cette même année, commence à voyager. À Berlin, il étudie le contrepoint avec Alfred Becker pendant l’hiver 1889-1890 et compose un quintette pour piano et cordes. L’hiver suivant, il est à Vienne: en dépit d’une lettre de recommandation de Busoni, il est éconduit par Brahms, et c’est auprès de Robert Fuchs et de Karl Goldmark que Sibelius se perfectionne. Il compose ses premières partitions orchestrales et lance les premières ébauches de Kullervo . De retour en Finlande, il donne, en avril 1892, sa symphonie Kullervo pour soprano, baryton, chœur d’hommes et orchestre: les quelque quatre-vingt-dix minutes de la partition transportent le public qui veut y voir l’acte de naissance de la musique finnoise. L’œuvre, saluée avec un enthousiasme patriotique, sera reprise mais disparaîtra complètement de l’affiche du vivant de Sibelius qui n’en était ni satisfait, ni désireux de la réviser! Quelques semaines après ce premier succès, Sibelius épouse Aïno Järnefelt: ils auront six filles et vivront ensemble pendant soixante-cinq ans! Cette même année 1892, Sibelius est nommé professeur à l’Institut. Le 16 février 1893, il exécute En Saga («Une légende»), une œuvre grand public que semblait appeler sa notoriété grandissante; insatisfait encore une fois, il retire la partition. Il faut attendre 1902 pour voir naître la version entièrement révisée que nous connaissons aujourd’hui.Avec la Suite de Lemminkäinen (1893-1896), moins bien accueillie en Finlande que Kullervo , Sibelius atteint la dimension universelle de son génie. Les deux derniers des quatre mouvements de cette suite – Le Cygne de Tuonela et Le Retour de Lemminkäinen – vont connaître une brillante carrière internationale. Entre-temps, au cours d’un voyage à Bayreuth et à Munich, Sibelius avait entendu Tristan : il avoue n’éprouver aucune sympathie pour l’art de Wagner. Il ne faut donc pas s’étonner si Lemminkäinen – bien que l’exprimant par des moyens fort différents – témoigne d’une sensibilité beaucoup plus proche de l’expressionnisme français que du wagnérisme, définitivement étranger à Sibelius après la tentative infructueuse de la composition d’un opéra (La Construction du bateau ) et malgré La Jeune Fille et la tour , opéra achevé en 1896 mais que Sibelius refusera toujours de faire reconnaître. Cette même année, Sibelius échoue devant Robert Kajanus à la succession de Friedrich Richard Faltin comme professeur à l’Université, mais en 1897 il reçoit une rente annuelle qui sera dix ans plus tard tranformée en pension à vie, ce qui lui évitera bien des soucis matériels.Le cycle des symphoniesEn 1899, Sibelius achève sa Première Symphonie , en mi mineur. Il entamait là un cycle qui va porter la marque de l’évolution de son art et le fait apparaître comme le second grand symphoniste du tournant de siècle, au côté de Gustav Mahler. C’est néanmoins Finlandia , poème symphonique publié en 1900, qui allait marquer le début de sa carrière internationale, favorisée par la présence du pavillon finlandais à l’Exposition universelle de Paris où se produisit l’Orchestre philharmonique d’Helsinki dont il était le second chef accompagnateur. La Deuxième Symphonie , en ré majeur (1901), porte les marques de l’infatigable voyageur que devient Sibelius: mûrie depuis son retour de Paris, poursuivie en Italie après un voyage en Allemagne, elle repose sur un grand nombre de réminiscences, bien qu’il lui dénie toute intention de programme.En 1903, pour illustrer une scène de la pièce Kuolema (la mort) de Armas Järnefelt (son beau-frère), Sibelius achève un «tempo di valse lente» qui, rebaptisé Valse triste , allait devenir inséparable de son renom, alors que ce petit mouvement est à ranger aux côtés des nombreuses valses qu’il écrivait (souvent pour se détendre) et qui rappellent simplement le goût avoué que Sibelius avait pour celles de Strauss. En 1904, Sibelius se souvient de son instrument favori: le résultat est le Concerto pour violon , œuvre virtuose dans laquelle soliste et orchestre ne se renvoient pratiquement jamais les mêmes thèmes. Au printemps de la même année, il quitte Helsinki pour faire construire à Järvanpää la villa qu’il habitera jusqu’à sa mort. Et, à l’automne, il commence sa Troisième Symphonie , en ut majeur, présentée au public le 25 septembre 1907. Sibelius y atteint une extrême concentration (l’œuvre dure moins d’une demi-heure) et prône un dépouillement de l’orchestre (absence de tuba, prédominance des cordes) qui annonce Karl Amadeus Hartmann. Entre-temps, après Berlin et l’Angleterre, il attache son nom, à la suite de Fauré, Debussy et Schönberg, à une musique de scène de Pelléas et Mélisande . Un mois plus tard, Mahler est à Helsinki, le temps pour Sibelius de constater que leurs conceptions de la symphonie s’opposent... Après de nouveaux voyages en Angleterre (au cours de l’un d’eux, il achève son quatuor à cordes Voces Intimae ), Sibelius commence en 1910 sa Quatrième Symphonie , en la mineur. Il la termine l’année suivante après l’avoir poursuivie en Norvège, à Berlin, en Suède et à Riga! L’austérité de l’œuvre, sa concision et sans doute aussi son incertitude tonale déconcertent le public qui passe à côté d’une des plus intéressantes créations de Sibelius. Il faut attendre 1913 et les cinquante ans du compositeur pour que voie le jour la Cinquième Symphonie , en mi bémol majeur, qui sera celle qui lui donnera le plus de mal. (L’annonce de la Première Guerre mondiale, qui est pour lui une complète surprise, l’a profondément perturbé et n’a sûrement pas simplifié sa tâche.) De ses années passées en Angleterre et aux États-Unis émerge Luonnotar , un chef-d’œuvre absolu pour soprano et orchestre donné en 1913 au festival de Gloucester et dont on s’étonne encore qu’il ne soit pas plus joué aujourd’hui.La révolution russe de 1917 a eu de tragiques conséquences en Finlande. Une guerre civile d’indépendance particulièrement meurtrière allait décimer le pays avant que ne soit proclamée la république le 25 juillet 1919. Quatre mois plus tard sera donnée la version définitive de la Cinquième Symphonie . Elle sera suivie de la Sixième Symphonie en 1923 (après un dernier voyage en Angleterre et une tournée en Suède et en Norvège), qui correspond dans sa simplicité à l’idéal de clarté, d’équilibre et de concentration auquel tendait Sibelius depuis la Quatrième Symphonie . L’unique mouvement, d’une grandeur très dépouillée, de la Septième Symphonie , en ut majeur (appelée d’abord Fantasia sinfonica ), achevée en 1924 confirme définitivement cet idéal.Il y aura encore Tapiola en 1926, sorte de testament avant la lettre, retour final à la mythologie finnoise abordée dans Kullervo , apothéose d’un génie qui désormais va se taire. Sibelius, à qui il reste trente ans à vivre, ne va plus écrire. Sensible à tous les courants qui ont marqué son époque, il a senti, avec sagesse, que le moment était venu pour lui de se tenir à l’écart, plutôt sans doute que de se voir dépassé. C’est l’explication la plus plausible à ce silence, sur lequel on n’a pas fini d’épiloguer. Sibelius meurt le 20 septembre 1957.Sibelius(Jean) (1865 - 1957) compositeur finlandais néo-classique: Kuolema (mus. de scène comprenant la Valse triste), Finlandia (légende symphonique), sept symphonies.
Encyclopédie Universelle. 2012.